Ma cuisine russe

Ma cuisine russe

Etre expatrié, c’est faire le choix de se plonger dans une nouvelle culture. Les formations interculturelles sont conçues dans ce sens : permettre aux expatriés ou futurs expatriés de mieux comprendre la culture, notion aussi riche que complexe, de leur pays d’expatriation.

Pour la comprendre, il n’y a pas de recette miracle. Il y a des ingrédients, qui se mélangent ou non. Chaque ingrédient a un rôle dans la réussite de la recette souhaitée. Certaines interactions sont nécessaires, d’autres sont explosives.

Connaître la recette par cœur ne garantit pas la réussite. Il faut l’avoir testée à plusieurs reprises avant de la réussir.

Je vous invite donc dans ma cuisine russe. Puisque je la retrouve avec joie depuis cette année. 

D’une part parce que cette pièce occupe une fonction toute particulière en Russie : nous sommes souvent surprises, lors des premières soirées, d’être invitées à y prendre place.

Sanctuaire impénétrable de toute maîtresse de maison qui se respecte en France, la cuisine russe a les portes grandes ouvertes. La cuisine en Russie c’est toujours « the place to be ». L’unique radio de l’appartement communautaire y trônait et c’était là que tout se passait et se racontait.

En arrivant en Russie, nous avons une connaissance avant tout théorique des ingrédients qui composent la culture russe : histoire, géographie, langue, littérature, musique, danse en sont les ingrédients de base.

Ils nous permettent de gérer nos besoins et de nous repérer au quotidien. Nous préférons donc observer de très loin l’agitation qui semble régner en cuisine. Emotions, communication, exclamations, sens des proportions, mélanges, ustensiles inconnus sont utilisés suivant un mode d’emploi qui nous effraie. Tous nos sens sont bien trop perturbés pour affronter toutes ces particularités.

Quelques mois plus tard, notre instinct de survie nous amènera pourtant souvent à tester ou à copier quelques recettes simples… en cachette. Maîtrisant mieux les recettes de base, nous oserons y ajouter par petites pincées de nouveaux ingrédients pour améliorer notre recette. Surprises du résultat, nous invoquerons la chance du débutant.

En vérité, nous aurons tellement clamé : « Je ne mange pas de ce pain-là ! » qu’il nous paraîtra alors difficile de nous avouer emballées.

Pourtant, passer véritablement derrière les fourneaux nous demandera encore de grands efforts. Confondant les ingrédients ou souhaitant imposer l’un des nôtres, l’envie de rendre notre tablier sera forte. Si à plusieurs reprises certains ingrédients ont contribué à l’échec de notre recette, on osera même claquer la porte en jurant de ne plus jamais y remettre les pieds.

Et puis, notre curiosité et un petit goût de revenez-y insoupçonnés nous donneront envie de nous y plonger à nouveau. Au cas où un chef “étoilé” russe voudrait venir nous prêter main forte. On relira pour la énième fois le nom des ingrédients, leurs origines historiques et géographiques, la façon de les nommer, les quantités à respecter pour que chacun dévoile toute sa saveur… On se souviendra surtout des mélanges à éviter.

On se surprendra à développer de nouveaux savoir-faire et savoir-être, à ne plus perdre patience. Afin que le résultat respecte la recette d’origine et soit conforme, aussi, à nos attentes, on prendra notre temps. On suivra les conseils. Le tout, avec un œil et un état d’esprit plus aiguisés.

Lire entre les lignes nous permettra de mettre le doigt sur ce qui a été transmis en terme de savoirs de génération en génération sans laisser de traces …écrites.

Certains ingrédients seront bannis à jamais car ils n’auront tout simplement pas leur place dans nos recettes interculturelles. On réalisera aussi que certains ustensiles s’avèrent plus pratiques que ceux que nous utilisons depuis toujours.

On élaborera nos plats en respectant le goût des Autres.

On appréciera à nouveau le fait de prendre le temps, d’attendre, de regarder monter la pâte afin de mieux savoir comment la pétrir à notre façon. On s’octroiera surtout le droit, nécessaire et suffisant, d’ajouter une touche personnelle dans la liste de nos ingrédients pour assurer une saveur unique à notre cuisine russe.

Bien plus tard ou de retour chez nous, on réalisera que la porte de notre cuisine est à présent plus ouverte, elle aussi.

On aura même tendance à se dire que l’on a inventé une cuisine nouvelle sans toujours nous en rendre compte. On aura grandi dans cette nouvelle cuisine. Elle aura bousculé nos modes de pensées, nos croyances, nos vérités. Elle aura imposé son espace et sa place avant de nous en accorder une.

Elle nous aura forcés à essayer, à dépasser nos limites.

Elle aura mis à la poubelle, avec notre accord, des ustensiles usagés ou inutiles et les aura remplacés par de nouveaux. Elle nous aura imposé de goûter, ce que l’on pensait ne pas aimer, avec les manches retroussées.

Elle aura garanti une explosion de saveurs à tous nos sens puis à tout notre être…

Et surtout, elle aura volontairement tenu secret un ingrédient. Un ingrédient qui ne figure dans aucun livre de recettes. Un ingrédient qui se trouve en nous.

Un ingrédient qui donne un goût indéfinissable et mémorable à toute cuisine, de la plus simple à la plus sophistiquée : mettre dans chaque expérience du cœur.

Beaucoup de cœur.

Et sans doseur.

Cet article a également été publié dans femmexpat. http://www.femmexpat.com/destination/europe/russie/ma-cuisine-russe/

 

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